mardi, juillet 22, 2008

Investir dans la valeur (3)

La valeur de la capacité bénéficiaire.

Nous poursuivons notre « saga de l’été » dans l’investissement « value » en suivant les raisonnements de notre guide, Bruce Greenwald.

Les deux premières méthodes de valorisation que nous avons abordées (la valeur d’actif « net net » et la valeur de renouvellement de l’actif) concernaient des entreprises sans avantage compétitif particulier. Ces entreprises exercent leurs activités sans générer de la « valeur-actionnaires » supplémentaire par rapport au coût que représentent les capitaux immobilisés pour la création proprement dite de cette valeur.

La valorisation de la capacité bénéficiaire ne peut être utilisée que pour des entreprises présentant une franchise pérenne au moins à moyen terme (c'est du moins notre interprétation).

Greenwald privilégie cette méthode par rapport à la méthode traditionnelle de l’actualisation des free cash flow futurs (que plusieurs d’entre nous utilisaient jusqu’à présent) parce qu’il estime qu’il est très aléatoire de déterminer une croissance future. Un investisseur « dans la valeur » doit se concentrer sur le plus d’éléments concrets et tangibles possibles.

Avec cette méthode, nous évaluons la capacité de la société à générer du cash au profit des actionnaires. Bruce Greenwald part du principe que, dans cette méthode de valorisation, on doit considérer la capacité bénéficiaire comme pérenne dans le futur c'est-à-dire sans croissance ni décroissance.

Nous revenons donc sur notre exemple pratique de Colruyt :

- Tout d'abord, nous relevons les résultats d'exploitation de Colruyt au cours des 6 derniers exercices comptables. Nous obtenons ceci :

2007 : 371,5
2006 : 332,4
2005 : 306,3
2004 : 313,1
2003 : 203,6
2002 : 164,7

Greenwald préconise de prendre le dernier résultat d'exploitation mais de le moduler en fonction du cycle économique et de la cyclicité de l'entreprise, c'est-à-dire réduire le résultat en haut de cycle et l'augmenter en bas de cycle. Colruyt étant une des entreprises qui, en raison même de son activité nous semble parmi les moins cycliques, nous décidons de prendre le REX de 2007 comme base de calcul.

- Ensuite, nous ajoutons à ce REX les charges qui ne donnent pas lieu à sortie de cash. En résumé, il s'agit des amortissements et des provisions. Pour l'exercice 2007, nous obtenons 98,8.

- Greenwald préconise ensuite de vérifier la récurrence des charges et produits sur le REX, autrement dit de soustraire les résultats exceptionnels du résultat d'exploitation. Après lecture, nous ajoutons le déficit du résultat exceptionnel 2007 soit 2,1.

- Enfin, Greenwald préconise de calculer l'impôt théorique que devrait payer l'entreprise sur son REx. Nous décidons de prendre le taux moyen d'impôt des sociétés en vigueur en Belgique soit 34 %. Même si l'impôt payé réellement par Colruyt s'est élevé ces dernières années à 31-32 %, il nous semble plus normal de partir du taux standard. Nous obtenons un impôt théorique de 126,3

Nous obtenons donc un cash flow opérationnel de 371,5 + 98,8 + 2,1 - 126,3 soit 346,1.

Cependant, l'intégralité de ce cash flow ne revient pas à l'actionnaire : l'entreprise doit effectivement assurer des investissements de maintien de son outil de production. La grande question qui se pose est la suivante : comment distinguer parmi les investissements effectués par la société, ceux qui consistent en investissements de croissance et ceux qui consistent en investissements de maintien ?

Greenwald nous propose une méthode qui vaut ce qu'elle vaut mais que nous trouvons intéressante.

Voici comment nous l’avons interprétée et appliquée à Colruyt :

Tout d'abord nous reprenons le montant des investissements bruts (c'est à dire non amortis) présent au bilan au 31/12 des 6 dernières années.

Nous obtenons les montants suivants :

2007 : 1 594,6
2006 : 1 424,6
2005 : 1 270,8
2004 : 1 219
2003 : 1 022,9
2002 : 931,2

Ensuite, nous reprenons le CA des 6 derniers exercices. Nous obtenons les données suivantes :

2007 : 5 208,6
2006 : 4 775,7
2005 : 4 702,1
2004 : 4 076,4
2003 : 3 308,3
2002 : 3 066,8

En troisième étape, nous divisons le chiffre d'affaires de chaque exercice par le montant des investissements du bilan. Nous obtenons :

2007 : 3,41
2006 : 3,51
2005 : 3,79
2004 : 3,42
2003 : 3,29
2002 : 3,35

Comme on peut le constater et cela confirme ce que Greenwald prétend, le résultat obtenu est relativement stable dans le temps. La moyenne des résultats de ces 6 dernières années est de 3,46. Nous retenons ce nombre.

Quatrième étape, nous calculons l'augmentation du chiffre d'affaires d'une année à l'autre. Nous obtenons ceci :

2007 : 432,9
2006 : 73,6
2005 : 625,7
2004 : 768,1
2003 : 241,5

Cinquième étape, nous calculons la part des investissements qui a été affectée à la croissance. Dans le cas présent, nous divisons l'augmentation du chiffre d'affaires de chaque année par 3,46.

Nous obtenons ceci que nous considérons être la part des investissements affectés à la croissance.

2007 : 125,1
2006 : 21,3
2005 : 180,7
2004 : 221,9
2003 : 69,8

Sixième étape, pour chaque année, nous déduisons les montants obtenus du montant total des investissements de l'exercice. Le solde correspond à la part des investissements dits "de maintien" et servant à préserver l'outil de travail.

Nous calculons la moyenne de ces investissements de maintien au cours des 5 dernières années et obtenons 15,9.

Septième étape : nous déduisons du cash flow opérationnel la part des flux de trésorerie qui doit être affectée aux investissements de maintien et obtenons 346,1 - 15,9 soit 330,2. C'est le montant de capacité bénéficiaire que nous retenons pour valoriser Colruyt.

Reste à savoir à quel taux on valorise ...

Greenwald préconise de retenir un taux supérieur d'un ou deux pourcent aux emprunts sans risque. Dans le cas présent, nous retenons un taux de 6,2 % (cela correspond au taux que l’un d’entre nous à payé à Fortis pour un crédit d’investissement). En actualisant à ce taux nous obtenons donc une valeur de capacité bénéficiaire de 330,2 / 6,2 % soit 5 325,81.

Ce n'est pas tout : Greenwald préconise d'ajouter les excédents de trésorerie et de déduire les dettes financières de la valeur obtenue (ce qui semble logique puisqu'on n'a pas tenu compte des intérêts encaissés ou payés lors du calcul de la VCB).

Pour Colruyt, nous constatons des placements et de la trésorerie pour 451,5 à l'actif. Selon Greenwald, on considère que la trésorerie nécessaire à l'exploitation correspond à 1 % du chiffre d'affaires. Pour Colruyt, nous prenons 2 % car il faut compter avec les "fonds de caisse" nécessaires au bon fonctionnement des magasins. La trésorerie nécessaire à l'exploitation de Colruyt est donc fixée à 2 % de 5 208,6 soit 104,17. L'excédent de trésorerie qui reviendrait aux actionnaires est donc de 451,5 - 104,2 soit 347,3. De ce montant, nous devons encore déduire les dettes financières du passif soit 14,4. Le solde d'excédent de trésorerie à ajouter à la VCB est donc de 347,3 - 14,4 soit 332,9, montant que nous ajoutons aux 5 325,8 obtenus ci dessus et fixons la VCB de Colruyt à 5 658,7 soit 171,2 euros par actions.

Cette valeur est, comme vous pouvez le constater, sensiblement supérieure à la valeur de renouvellement de l’actif que nous avions fixée dans notre précédent article à 134,85 euros.

La différence entre les deux, c’est-à-dire 36,35 euros est la survaleur procurée par Colruyt à ses actionnaires par rapport à ce que coûterait l’installation d’un concurrent.

Un enseignement que l’on peut tirer est que la direction utilise de manière efficiente les capitaux des actionnaires.

Ce qu’il convient d’analyser maintenant, c’est la capacité de Colruyt de poursuivre cette création de cash supérieure au coût du capital dans le futur. Ce n’est qu’à cette condition que la valeur de la capacité bénéficiaire peut être utilisée comme moyen d’évaluation par les investisseurs « value ». Cette analyse revient à analyser ce que Bruce Greenwald appelle « la franchise » c’est-à-dire l’avantage compétitif d’une entreprise sur ces concurrents ou mieux : la barrière à l’entrée contre les compétiteurs de l’entreprise analysée sur son marché.

A défaut de barrière à l’entrée, des concurrents, attirés par la survaleur créée par ce marché, investiront ce marché, y créeront une concurrence qui ramènera à moyen terme la valeur de l’entreprise à sa valeur de renouvellement.

C’est donc de cette franchise dont nous parlerons dans notre prochain article.

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