lundi, juillet 07, 2008

Investir dans la valeur (2) – La valeur de renouvellement de l’actif

Après l’étude de la valeur d’actif net-net (cfr article du 30/06), nous poursuivons notre périple « dans la valeur » avec Bruce Greenwald comme guide. Cette semaine, nous abordons la deuxième notion de valeur : la valeur de renouvellement de l’actif.

Selon Greenwald, la valeur économique d’une entreprise saine est celle du coût de renouvellement de ses actifs, c’est-à-dire ce que paierait un concurrent potentiel pour rentrer sur le marché.

Nous allons passer les comptes de Colruyt en revue afin de tenter de déterminer ce coût de renouvellement.

Nous commençons par l’actif et les postes les plus faciles à valoriser, c’est-à-dire les actifs circulants et en remontant ensuite vers les plus difficiles pour terminer par le goodwill.

- Trésorerie : 414,9 aucun commentaire particulier, nous reprenons ce poste pour sa valeur

- Placements : 36,6 ici aussi aucun commentaire particulier

- Autres débiteurs : 27,6 et créances commerciales 206,3 : Greenwald considère qu’un concurrent nouvellement arrivé courrait plus de risque d’impayés qu’une société dans la place. Son coût de renouvellement serait donc supérieur. Afin de « coller » avec cette réalité,
Greenwald préconise d’ajouter les provisions pour risque d’impayés au montant net des créances inscrites au bilan car ces provisions représenteraient effectivement un coût d’installation pour un concurrent. Colruyt a acté respectivement 1,5 et 12,8 de provisions
pour ces deux postes. Le coût de renouvellement des Autres débiteurs et des Créances Commerciales est donc fixé à 29,1 et 219,1.

- Créances d’impôts courant : 6,5 aucun commentaire particulier

- Stocks : 384,6 Greenwald pense (tout comme nous) qu’un stock peut être sur-estimé ou sous-estimé. Il préconise de surveiller l’évolution de la rotation des stocks afin de vérifier la fiabilité de la valeur indiquée par la direction. Nous pensons travailler à l’avenir de la même manière que nous l’avons fait dans le calcul de la valeur d’actif net net : c’est-à-dire appliquer au stock du dernier exercice la rotation moyenne des 5 exercices précédents. Si le stock
a tourné plus vite que cette moyenne, nous prenons la valeur du bilan. S’il a tourné moins vite, nous appliquons une valeur équivalente à la rotation moyenne des 5 derniers exercices. Et donc pour Colruyt, la rotation 2007 ayant été plus rapide que celle des 5 exercices précédents, nous prenons la valeur telle que la direction nous la donne.

- Impôts différés à l’actif : 11,4 Ce poste représente un droit à déduction fiscale dans le futur. Greenwald préconise de prendre en compte la valeur temps (c’est-à-dire le fait d’attendre que la société analysée génère des bénéfices qui pourront permettre d’utiliser ces
actifs). Colruyt nous indique, dans ses règles d’évaluation, qu’un taux d’actualisation a bien été appliqué sur la valeur des impôts différés. Ce poste n’appelle donc aucun redressement.

- Placements à long terme : 5,5 Il s’agit de prêt à des clients de plus d’un an. Ce poste n’appelle aucun commentaire.

- Participation des entreprises associées : 12,4 Il s’agit de la participation de Colruyt dans des entreprises qui n’entrent pas dans son périmètre de consolidation global (parce que Colruyt n’exerce pas un contrôle sur ces participations). Elles ont été valorisées à la valeur des fonds propres des sociétés sous jacente. Ce qui me semble correct et n’appelle donc aucune correction.

- Immobilisations corporelles : 802 Nous entrons à présent dans les postes de l’actif les plus délicats à valoriser dans une optique « renouvellement ». Ainsi un terrain acquis il y a 30 ans et inscrit dans les comptes à sa valeur d’acquisition vaut sans doute beaucoup plus aujourd’hui. Et les constructions et installations qui ont été amorties présentent dans le bilan une valeur bien inférieure à ce qu’un concurrent devrait débourser pour en acquérir. Par contre, du matériel informatique acquis il y a cinq ans est repris pour 0 dans les comptes mais le nouvel entrant pourra lui acquérir du matériel plus performant. Finalement, nous avons décidé de passer en revue chaque sous rubrique de ces immobilisations corporelles et de tenter de raisonner « juste » dans l’optique de cette valeur de renouvellement.

• Terrains et constructions : au bilan, ceux-ci sont repris pour une valeur nette de 591,5. Dans les annexes, nous remarquons que des amortissements ont été actés pour 303,8, ce qui amène le prix d’acquisition des terrains et constructions à 895,3. Cependant, ces biens ont été acquis durant toute la durée de vie de l’entreprise et il est probable qu’un concurrent, pour acquérir aujourd’hui les mêmes biens, devra débourser plus que Colruyt dans le passé. Arbitrairement, nous décidons de considérer que les immeubles de Colruyt ont un âge moyen de 7 ans et d’appliquer un taux d’inflation de 2 %. Nous reprenons donc les Terrains et Constructions de Colruyt pour une valeur de renouvellement de 1 028,42.

• Installations, machines et outillage : au bilan, ils sont repris pour une valeur nette de 84,7. Dans les annexes, nous remarquons que des amortissements ont été actés pour 181,4. On peut considérer que les composantes de cette sous rubriques consistent essentiellement en racks
et rayonnages d’une part et en matériel de caisse, scannage et manutention d’autre part. L’ancienneté de ces biens est probablement récente (du moins pour ce qui ne concerne pas le rangement). Après réflexion, nous décidons de reprendre ce poste pour la valeur d’acquisition sans appliquer de plus value pour l’inflation soit 266,10 (84,7 +181,4 ).

• Mobilier et matériel roulant : ce poste comprend probablement essentiellement des camions, du mobilier de bureau et du matériel informatique. Un concurrent arrivant sur le marché pourrait sans doute acquérir du matériel informatique plus performant sans payer
plus cher. Pour tenir compte de cette donnée, nous décidons de valoriser ce poste à sa valeur nette augmentée de seulement 80 % des amortissements qui ont été actés. La VRA de ce poste est donc de 238,26.

• D’autres immobilisations corporelles sont reprises dans les comptes pour une valeur nette de 50. Faute de précision, nous les reprenons pour ce montant en valeur de renouvellement.


La valeur de renouvellement des immobilisations corporelles s’établirait donc, suivant mon calcul à 1 282,78.


- Immobilisations incorporelles : 6,5 il s’agit de frais de recherche et développement qui ont été activés (pour un montant de 2,1) et de licences informatiques. Nous décidons de traiter les frais de recherches et développement à part et ne les valorisons pas dans le cadre de cette rubrique. Par contre, nous reprenons la valeur des licences informatiques pour le prix d’acquisition non amorti soit 16,9.

- Goodwill : Le goodwill consiste en la différence entre les fonds propres des sociétés achetées et le prix payés. Cette survaleur apparaît au bilan mais rien ne dit qu’elle est justifiée ou qu’un concurrent devrait payer le même prix pour acquérir des entreprises équivalentes.

Par contre, pour prendre des parts de marché à Colruyt, un concurrent devra investir en R&D, en publicité ou en promotion. Il est donc intéressant de valoriser tous ces frais afin de déterminer le coût que devra débourser un nouvel entrant. Les frais de R&D pour un
distributeur comme Colruyt sont dérisoires et ne sont d’ailleurs pas identifiés ni dans le compte de résultat ni au bilan si ce n’est un tout petit poste de 2,1 inscrits au bilan d’une société rachetée et intégrée par Colruyt. Pour cette raison, nous faisons abstraction de ces frais de R&D. Il y a par contre trois types de dépenses qu’un concurrent devrait débourser pour concurrencer Colruyt. Les premiers, ce sont des frais commerciaux destinés à développer la clientèle. Pour un distributeur comme Colruyt, on peut considérer que ce sont essentiellement des frais de publicité et de marketing. Le deuxième type de frais que devrait débourser un nouveau compétiteur sont les frais inhérents à l’installation de nouveaux magasins : demandes d’autorisation, de permis de construire, frais d’architecte, études de marché, … Enfin, le troisième type de frais, c’est le coût de la mise en place de l’organisation interne de Colruyt. Nous en avions parlé lorsque nous avions présenté cette société il y a quelques mois (2e article de cette page : http://valeurconviction.blogspot.com/2008_02_01_archive.html) : la base de la stratégie low cost de Colruyt repose sur deux piliers très importants : une organisation impeccable à laquelle adhère un personnel motivé et un concept que nous pouvons qualifier de “cash and carry “ unique sur son marché domestique et nécessitant peu de frais de structure. Pour mettre en place une telle organisation, un nouvel entrant sur ce marché devrait entamer de très gros efforts de formation du personnel, d’optimisation du processus logistique, de perfectionnement des systèmes informatiques. Malheureusement, nous ne disposons pas des informations nécessaires pour calculer ces coûts. En l’absence d’information précise, Greenwald conseille de multiplier le poste « charges commerciales, générales et administratives » par un facteur allant de 1 à 3. L’opportunité d’utiliser « aveuglément » un tel multiplicateur a donné lieu à un long débat entre nous. Est-il normal de considérer des frais de fonctionnement comme un « actif » ? Et une société mal gérée, présentant une structure de frais élevée, vaudrait-elle alors plus qu’une société bien gérée avec une structure de frais réduite ?

Pour répondre à cette question, nous nous sommes à nouveau penchés sur le fonctionnement de Colruyt et son organisation. Plusieurs d’entre nous sont clients réguliers de Colruyt mais aussi de ses concurrents (en Belgique, le principal marché de Colruyt, les concurrents sont Carrefour et Delhaize et les hard-discounteurs allemands Lidl et Aldi). Nous avons tout d’abord constaté qu’année après année, face à de tels concurrents dont la plupart sont de très grosses multinationales, Colruyt a gagné des parts de marché et ce, en créant constamment de la valeur-actionnaire (Colruyt est aujourd’hui le n°2 belge juste derrière Carrefour et les projections le placent en n°1 l’année prochaine).

Pour expliquer la réussite de Colruyt, laissons la parole à l’un d’entre nous, récemment conquis par Colruyt en tant que client et donnant ses impressions en tant que client :

« Je pense personnellement que cela mérite une réflexion supplémentaire..Dans ton explication : que les charges de personnel, n'entre pas en vigueur qu'un peu avant (formation) ou à l'ouverture du magasin......Mon exemple est sans doute extrême, mais juste pour souligner.....Imaginons un nouvel entrant avec un nombre X de magasins, imaginons que durant les premières années, les ventes couvrent à peine, le renouvellement des stock et quelques frais.....La direction est alors obligée de trouver des liquidité, pour payer son
personnel et l'ensemble des charges.....!!!! N'est-ce quand même pas quelques part une valeur non négligeable que ces charges, pour Colruyt.....

Si nous revenons, sur une autre comparaison, par rapport aux charges du personnel de Colruyt....Par rapport à Carrefour, par exemple.....Depuis que je suis client, j'ai remarqué que le personnel qui range dans les rayons, est parfois demandé en renfort aux caisses.....Il y a donc une polyvalence du personnel, hormis a la boucherie, qui me fait penser que l'organisation sur le nombre d'engagés pour faire tourner un magasins Colruyt est très finement huilée et qu'il n'y a pas une personne en plus.....

Si nous regardons ce qui se passe à Carrefour, l'organisation est complètement différente, jamais tu ne verras, du personnel qui range dans les rayons, venir faire un renfort en caisse....donc, on peut très bien voir trois caissières, sur les 10 caisses ouvertes, bavarder, le
lundi matin, parce que les clients sont rare et les sept autres, avoir un passage assez léger....

Dans le même cas de figure à Colruyt un lundi matin, il y aurait un seul en caisse et le reste dans les rayons....

En connaissant ce point précis du busines, entre les deux sociétés, il est clair que les charges personnel de Carrefour, devrait représenter beaucoup moins de valeur d'actif que celle de Colruyt, dans l'idée de Greenwald, bien entendu, car, le modèle de carrefour est banal dirais-
je en comparaison du modèle optimal de Colruyt....

Nous pouvons aussi discuter du modèle Champion (ceux que je connais sur Charleroi), par exemple ou, il n'y a que deux caissières qu'il y ait deux files immenses ou pas....Donc dans ce cas, c'est le client qui est exaspéré....Ce qui peut induire une perte de clientèle, au profit d'une organisation en caisse mieux adaptée type Colruyt.....

Dans ce cas de Champion, en imaginant des charges de personnels égales à Colruyt, par exemple....Nous ne pourrions pas les considérer égale, en valeur d'actif à celle de Colruyt, tout simplement et une nouvelle fois parce qu'elles ne sont pas optimales, ou nous ne les jugeons pas optimales...

A partir de ces deux exemples, un nouvelle entrant qui n'a pas le même modèle de gestion du personnel que Colruyt, part automatiquement avec un handicap.....Ou il ne regarde pas trop comme Carrefour à un engagé qui va qui vient, ou à l'exemple de Champion, il y est attentif, mais crée un déséquilibre rayon - caisse qui peut, avoir des répercussions sur la clientèle.....

Et je pourrais enfoncer le clou dans le détail avec la Boucherie ... Comparaison Carrefour-Colruyt....avant il existait une boucherie à Carrefour, maintenant c'est du préemballé en rayon...Seul est resté en place un rayon de découpe fromage-charcuterie... avant le rayon était commun ... Et il y avait donc un boucher, plus deux vendeuses charcuterie au comptoir pour servir (je ne compte pas les boucher à la découpe derrière)....A Colruyt, le modèle c'est deux bouchers au comptoir, pour servir boucherie et charcuterie, et ensuite la fameuse feuille de commande qui permet de ne pas attendre, mais de faire tes courses, pendant que les bouchers préparent la commande.

Donc Carrefour veut faire des économies de personnel, il supprime le boucher (l'exemple est basé sur une observation au Carrefour de Gosselies), il reste deux vendeuses en charcuterie...réduction de 33% des charges de personnel, sur les 3 postes...

Dans cette amélioration substantielle, Carrefour arrive seulement au niveau de Colruyt qui était déjà depuis longtemps avec seulement deux bouchers pour le tout.....

Quel sont les conséquences non mesurable, sur les clients.....de cette suppression d'un boucher....Tu es devant un rayon et tu n'a aucune explication de personne, sur quoique se soit, une nouvelle préparation ou autre...Ensuite le problème d'attente, si tu veux 300 grammes de jambon de Parme reste entier, si tu as 10 personnes devant toi…

Chez Colruyt, tu as la vitrine, tu regardes, et tu peux demander une explication au boucher et c'est parfois agréable, sur un temps de cuisson ou autres.....

Donc là ou Carrefour sur ce post arrive sur les charges de personnel au même niveau que Colruyt, Colruyt garde deux avantages, non mesurables, sur le client donc, un contact et pas d'attente......Il me semble aussi logique que à charges égales, sur ce post, entre Carrefour et
Colruyt, la valeur d'actif de ces charges soit différente...

Et je pourrais encore entrer dans d'autres détails, comme mon fameux boucher que j'ai retrouvé, après suppression de son post au rayon Hifi -electromanager.. Je lui ai posé un jour une question sur un portable qui était en offre et je peux te dire qu'il m'a répondu qu'il ne savait pas ! Donc un post inutile, sans la moindre valeur ajoutée....avec des charges ne pouvant pas être comptabilisées éventuellement comme valeur d'actif, de la même manière que Colruyt....

Loin de moi l'idée de faire collé une valeur à Colruyt, en rapport au cours, ce serait une erreur, mais je pense que par rapport a un modèle bien précis, comme Colruyt, les charges pourraient être considérées, comme le fait Greenwald, comme une valeur d'actif et un avantage réel sur la concurrence.....

Tout ceci à condition de bien connaître la société et la concurrence, pour être en mesure de comprendre les différences...Ceci étant des hypothèses, ne pas comprendre la différence peut transformer ces hypothèses en aberrations...en appliquant systématiquement 3 X les charges »


Les nombreux débats que nous avons menés entre nous (et la discussion ci-dessus n’en est qu’un résumé succinct) nous ont permis de comprendre cette aspect « valorisation » de Greenwald lors de l’établissement de la valeur de renouvellement de l’actif.

Le modèle de Colruyt ayant démontré toute son efficacité et notamment l’utilisation optimale de toutes les ressources (humaines, matérielles et financières) nous a permis de comprendre l’intérêt de considérer des dépenses, qui sont à priori des dépenses de fonctionnement, comme un actif à part entière. Dans cette optique, nous établissons la valeur du goodwill de Colruyt à 3 X les frais de fonctionnement soit 2 780,70.

- Après avoir passé l’ensemble des dettes en revue, nous décidons de les déduire toutes à l’exception de provisions pour litige en cours de 3,5 moi car un nouvel arrivant ne sera en principe par confronté à des litiges pour son installation.

La « valeur de renouvellement de l’actif » de Colruyt est donc fixée à 4 461,48 ou 134,85 euros par action … sur base des comptes clôturés le 31/03/07.




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