jeudi, mars 29, 2007

Valeur ou Croissance. Le faux débat par excellence.

L’échange que je retranscrit ici du livre de Robert Hagstrom « le portefeuille de Warren Buffett », entre Jim Cramer, le fondateur de « The Street.com » et Bill Miller le gérant du fond « Legg Mason Value Trust », vous aidera, je l’espère à mieux comprendre, l’idée de valeur que l’on oppose trop souvent à l’idée de croissance. A tort, il en va de soi.

Robert Hagstrom, l’auteur du livre, fait le bref commentaire suivant en fin d’échange : l’argumentaire est un classique écrit-il, page 111. Je veux croire que cette lettre de Bill sera étudiée tant par les investisseurs que par les universitaires. Elle a en tout cas parfaitement retenu l’attention de Jim Cramer.

Jim Cramer :

Tout faux ! Fonds de gestion collective orientés dans la valeur ou la croissance ? Dell Computer, America Online, Microsoft, Lucent. Quelles représentations grotesque de la notion de valeur ces actions représentent-elles. Valeur cela ? Laissez moi rire.

Je ne veux pas paraître cynique à ce sujet, mais je pense que les gestionnaires se fichent du monde. L’industrie de la gestion collective à un réel problème de classement de ces produits. Il me semble qu’on devrait accepter la règle suivante : le terme valeur ne devrait pas être appliqué à des fonds qui détiennent des actions dotées de multiple de capitalisation aussi élevés (PER). Aujourd’hui, le concept de valeur est tout simplement devenu une mascarade, une tactique marketing viciée qui attire les gens là ou, mieux informé, il n’aurait jamais voulu être.

Bill Miller :

Jim, Legg Mason Value Trust, le fond dont j’ai la charge, est peut-être l’offenseur qui a déclenché votre diatribe dans votre chronique « valeur ou croissance », puisque nous sommes dans l’indice des fonds dans la valeur IDB et que les deux principales positions que nous détenons sont Dell et AOL, nous n’avons pas de Lucent ou de Microsoft.

Bien entendu en 1996, quand nous achetions Dell à 4$ avec un multiple (PER) de 6 et un retour sur fond propre de 40%, personne ne pensait qu’il y avait là une hérésie. Et quand nous chargions AOL à 15$ fin 1996, les gens pensaient tout simplement que nous étions fous d’acheter quelque chose qui en toute logique ferait faillite à cause de l’internet, de Microsoft ou de sa propre incompétence. (Vous remarquerez qu’après ajustement pour divisions ultérieurs de ces titres, c’est comme si Bill avait acheté Dell à 2$ et AOL à 7,50$).

Toutes la question est bien entendu de savoir comment nous pouvons les valoriser aujourd’hui alors que leurs PER et leurs cours / actifs nets ont atteint des valeurs stratosphériques ?

Une partie de la réponse est liée à notre stratégie général d’investissement. Alors que les gestionnaires de fonds ont un taux de rotation moyen supérieur à 100% dans leur recherche frénétique de quelques chose qui marche, notre taux glaciale de 11% est une anomalie. Trouver une belle affaire à bas prix, prendre une grosse position, et ensuite conserver cette ligne pendant des années représentait autrefois ce que nous appelions un investissement sensé.

Dans le cadre d’un marché tenu par la spéculation, une stratégie d’investissement à long terme est rare, c’est pourtant ce que nous faisons. Nous ne voyions aucune raison a vendre une bonne affaire pour la simple raison que son cours de bourse est monté trop haut, ou parce que nous l’aurions détenue pendant suffisamment longtemps.

Il est plus judicieux de considérer que le prix et la valeur sont deux variables différents et indépendant. Mais comme Buffett l’a fait remarqué, il n’existe en théorie aucune différence entre la valeur et la croissance ; la valeur d’un investissement est la valeur présente des Free Cash-Flow futur que générera l’affaire.

Valeur et croissance, ne découpent pas le monde à ses articulations ; ces termes sont essentiellement utilisés par les consultants, pour leurs permettre de découper le monde des gestionnaires d’actions pour leurs clients. Ils représentent des caractéristiques des actions et pas des affaires. Comme l’a dit un jour Charlie Munger, faire la distinction c’est une « ânerie ».

Alors que le marché est plus performant que 91% des gestionnaires ayant survécu depuis le informatique ne représentent plus une ressource limitée, et que les bases de données ne sont plus une denrée rare, les critères de choix d’actions dérivés de données comptables (cours / bénéfices, cours / actif net, cours / cash-flow) que l’informatique peut identifier et tester sur historique ont peu de chance de déboucher sur des performances robustes.

Toute combinaison de critères de choix d’actions qui paraît ouvrir la porte à une sur performance disparaîtra vite par arbitrage. Il n’y a aucune formule qui permette d’être plus performant que l’indice.

Tout portefeuille qui enregistre une meilleur performance que le marché sur une période longue peut y arriver car il contient des valeurs mal valorisées par le marché. Le marché s’est trompé sur l’avenir de ces sociétés. On recherche directement les erreurs de valorisations du marché en comparant ce que dit le marché sur la valeur de telle ou telle entreprise avec ce que nous pensons qu’elle vaut à partir d’une méthodologie multi-critère..

Le point de départ de cette méthodologie ce sont les critères comptables puis on passe à une analyse de la valeur économique de l’entreprise, ensuite à une analyse de la valeur de l’entreprise dans le cadre d’une LBO, puis, on observe la valeur liquidative de l’entreprise, et bien entendu on intègre enfin un modèle d’actualisation des Free Cash-Flow.

Le processus de valorisation est dynamique et non statique. Quand nous avons valorisé AOL au début, le titre s’échangeait autour de 15$ l’action et nous pensions que l’affaire valait plutôt 30$. Nous valorisons aujourd’hui l’affaire entre 110$ en bas de fourchette et 175$ en fonction d’un modèle d’actualisation des Free Cash-flow que nous jugeons conservateur. Si nous ne nous trompons pas sur le modèle économique à long terme, ces chiffres ont encore une belle marge d’appréciation.

Nul ne se plaint quand nous chargeons du General Motor ou du JP Morgan Chase, valeur classique et facile à comprendre, ou quand nous achetons des « cageots perpétuels » comme Toys R Us ou Western Digital, au beau milieu de perte massive. C’est pour des Dell ou des AOL que des gens soulèvent leurs objections.

Et l’objection la plus courante c’est qu’ils ne comprennent pas que nous n’ayons pas vendu Dell à 8$, comme sont supposé le faire les investisseurs dans « la valeur ». Puisque les multiples de capitalisation (PER) des valeurs PC fluctuent historiquement entre 6 et 12 fois le bénéfices, disent-ils, dès que Dell atteint un multiple de 12, il ne représente plus de la valeur.

Nous sommes ravis quand les gens utilisent des outils de mesures simplistes de ce genre tirés de données comptables historique dont il projette la course dans le futur avec une échelle linéaire, et qu’ils utilisent ce tracé pour prendre leur décisions d’achat et de vente. Ce type de raisonnement est bien plus simple que de s’efforcer de voir ce que vaut réellement une affaire, mais cela nous aide à générer de meilleurs résultats pour nos clients en conduisant une analyse complète.

On détient du General Motor et du AOL, pour la même raison : le marché se trompe sur le prix de ces affaires puisque leurs titres s’échangent avec une décote sur la valeur intrinsèque de leurs activités sous-jacentes.

Cordialement. Bill Miller

Jim Cramer :

Cher Bill,

Oh ! vous m’avez ouvert les yeux ! Il est évident que vous n’agissez pas comme tout le monde. Les anomalies dues au hausse massives des prix, les superbes choix de titres de votre part, et l’impératif de limiter le coût fiscal, tout cela aboutit à un style particulier qui vous caractérise. Je suis désolé que mon papier sur « la valeur » vous ai obligé à intervenir. Il semblerait qu’il faille aller au-delà d’un simple graphique auquel on appose des noms pour comprendre l’énigme de « la valeur ». excellent travail, superbe réponse et je vous remercie d’avoir pris la peine de nous en faire part. Et à propos, toute mes félicitations pour avoir découvert Dell et AOL, si tôt.

Jim Cramer

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